RANDO PLUME
Dimanche 18 septembre Digne Thorame
Bonsoir les amis,
Une fois n’est pas coutume, ce soir j’ai envie de prolonger par l’écriture l’étape du jour.
Pourvu que la solitude du campeur blotti dans son confortable chalet entre les ravins du vabre et du défens suffise à m’inspirer puisque la connexion au monde numérique et civilisé semble ce soir balbutiante. Bref, allons-y avant que la bière brassée dans le haut Verdon ne vienne embrumer mes pensées.
La longue étape de la veille et ses nombreux désagréments- route très passante de Manosque jusque sur le plateau, fortes bourrasques contraires lors de la traversée vers Valensole, 15 kilomètres pour retourner récupérer ma gourde oubliée sur le guéridon d’un café, une interminable piste forestière caillouteuse donc infernale pour la descente sur Digne - m’avait épuisé.
Ajoutez à cela un départ dès potron-minet en l’absence de petit déjeuner proposé par mon hôte, je quittais Digne avec le sentiment que j’allais payer mes efforts de la veille doublés du creux de mon estomac. Heureusement une boulangerie se présenta sur ma route suivie comme son ombre par un Intermarché, le creux de l’estomac comprit dès lors qu’il n’avait plus aucune raison de se plaindre, il disparut bien vite sous une succession de viennoiseries et boisson chocolatée.
Reste que les efforts de la veille, eux n’avaient pas disparus, pour la première fois depuis le début du voyage je sentis que mes jambes ne répondaient plus, c’est gênant lorsque l’essentiel de l’avancée dépend du pédalage. C’est gênant surtout quand dès la sortie de Digne se profilent les premières pentes du col du Corobin, au saut du lit et après un petit déjeuner avalé à la hâte, je ne conseille pas.
Une ascension d’une douzaine de kilomètres pour basculer sur la vallée d’Asse.
Après quelques étapes dans le Luberon, je retrouve avec plaisir un peu d’altitude et surtout la solitude de ces hautes vallées. Deux véhicules croisés sur toute la montée, un seul lors de la descente, quelques cyclistes matinaux et vaillants et la forêt dans toute sa splendeur. J’aime ce type de col, lorsque du bas de la vallée vous scrutez les cimes ne sachant où la route va vous mener, progressivement ces montagnes que vous jugiez hautes semblent à votre niveau, mieux vous les dépassez bientôt, les rares hameaux de la vallée paraissent bien dérisoires. La forêt de sa ténébreuse épaisseur enveloppe toute la chaîne mais toujours pas d’indice du tracé jusqu’au col. Les kilomètres s’enchaînent dans le doux ronronnement du pédalier, la pente s’adoucit après de sévères passages, le sommet n’est plus très loin, de ci de là entre les sapins de magnifiques panoramas s’offrent aux yeux du promeneur, l’occasion de prendre quelques photos comme pour tenter d’emporter ces paysages dans mes bagages.
A Chaudon-Norante, la sportive route du Corobin retrouve sa doyenne la fameuse route Napoleon dite N85, je la quitterais à Barrême après une dizaine de kilomètres et c’est tant mieux ! Une route pour motards épris de vitesse, de dépassements faisant hurler leurs machines en se livrant à des joutes routières au mépris de paysages splendides qu’ils n’ont guère le temps d’apprécier et du pauvre cycliste qui fait de l’huile quand il entend ces vrombissements se rapprocher.
A Barrême donc, virage à gauche pour remonter la vallée de l’Asse jusqu’à Tartonne. Un autre monde s’offre alors à mon regard. Vallée préservée parce qu’isolée, un territoire superbement entretenu par ces quelques paysans bergers, des prairies bien vertes et grasses où paissent tantôt des bovins et les fameux agneaux de Sisteron, peu de hameaux et deux petites communes Clumanc et Tartonne qui ne dépassent pas ensemble 300 habitants.
Un dernier effort, le col du Défens pour basculer vers une autre belle vallée à Lambruisse - moins de 100 habitants ici - le col du Défens à l’altitude assez respectable de 1267 mètres, complètement oublié du reste du monde entre les vallées de l’Asse de Clumanc et de l’Issole, je dis bien Issole, mais un s en moins ne m’aurait pas choqué .
Quelques kilomètres encore et me voici parvenu au bas de Thorame-Basse la grosse bourgade de ce fond de vallée avec ses 228 habitants d’après Wikipedia, Le décor est magnifique, chanceux je m’arrête au camping du Villard en pleine nature, sur un site paradisiaque, cependant au village me dit-on le restaurant a fermé cette année, l’épicerie aussi l’été dernier. C’est souvent le revers de la médaille pour ces jolis endroits préservés et reculés de nos montagnes.
Depuis mon départ de Thonon, j’ai franchi de nombreux cols, peu connus pour la plupart, découvert autant de villages que de belles vallées pourtant si je devais avoir un coup de cœur ce serait pour l’étape d’aujourd’hui entre Digne et Thorame-Basse.
À suivre…
Jour de repos à Forcalquier
Bonjour les amis,
Me voici parvenu à Forcalquier petite sous préfecture des Alpes de haute Provence, je préférais l’ancienne appellation hautes-Alpes même si géographiquement parlant ça tient la route. Comme le soulignait l’éminent journaliste vadrouilleur qu’est Pierre Bonte on attribue à la ville « le ciel et l’air les plus purs de France, si ce n’est d’Europe », j’avoue pour m’être baladé en ville par un jour pluvieux que ces attributions ne m’ont sauté ni aux yeux ni aux bronches, pourtant j’ai aperçu au loin les coupoles de St Michel l’observatoire lors de la descente sur Forcalquier alors il y a sûrement du vrai dans cette affirmation.
Que dire ou surtout retenir de ces 13 jours de voyage ? Se souvenir des noms de lieux - prononcé rapidement ça peut devenir un juron - des gens croisés ou rencontrés, des difficultés du parcours, de la beauté des paysages bref voir défiler le film de ces étapes en ne gardant que l’essentiel. Un challenge que je ne peux relever tant il fourmille de bons souvenirs.
Arrivé en gare de Thonon les Bains après un long et éprouvant voyage nécessitant la bagatelle de quatre trains et trois correspondances, j’espérais retrouver très vite les verts pâturages où paissent tranquillement les bestiaux savoyards, hélas je tombe en plein déballage de la foire de crête, une foule dense et bigarrée que je dois fendre sur quelques centaines de mètres avec mon vélo lourdement chargé, je m’accroche fermement aux poignées guidant la machine au milieu des badauds affairés. « Thonon les bains, tenons les bien » répétai-je pour me motiver.
Les petites routes du soleil, en voici un titre bien trouvé ! Rendez-vous compte, un bref orage le premier jour, une pissette le lendemain et depuis grand ciel pur sauf aujourd’hui dans la ville du ciel si pur qu’il pleut. Ce temps parfait, sec ni trop chaud ni trop froid, m’a rendu le voyage si agréable. Je n’ose imaginer gravir tous ces cols et filer dans toutes ces descentes par temps humide. A ce propos, savez-vous vous combien de cols ont vu mon passage ? Non, et bien moi si puisque j’ai pris la photo souvenir à chaque passage. 28, mais je triche comme vous vous en doutez, j’allonge en effet régulièrement l’itinéraire proposé me permettant d’enchaîner de jolis cols imprévus. Il faut dire que sans l’assistance électrique je ne m’y risquerais pas car même avec elle ce sont de longs efforts consentis, le spectacle au sommet de ces routes est un bonheur à chaque ascension. Ces bonheurs là valant bien la sueur qu’ils imposent.
Petites routes, c’est ma foi une autre vérité ! De longues périodes sans véhicule, sans hameau, sans âme qui vive. Le bonheur de pénétrer le profond silence des lieux avec pour seul accompagnement le ronron discret du pédalier parfois troublé hélas par le passage ô combien bruyant de motards isolés ou en hordes sauvages. Ce phénomène speedy touristico pétaradant étant plus accentué donc indigeste dans la partie nord du voyage et fort heureusement atténué dans ces vallées profondes et isolées du Diois ou des Baronnies.
Qui dit petites routes dit petits hameaux, les commerces sont rares dans ces vallées de la Drôme provençale ou des Hautes Alpes. Pas un troquet, pas une mobylette disait Coluche, j’ai plusieurs fois frisé la correctionnelle à l’heure du déjeuner quand l’alimentation la plus proche est à vingt kilomètres, j’ajouterais pas un distributeur de billet, des pays où la carte bancaire semble parfois inutile.
Le côté sportif du périple ne vous aura peut-être pas échappé ? C’est mon quatorzième voyage à vélo. Neuf avec mon ami Pierre, un avec Romain en Irlande, les autres en solo. Tous me laissent d’excellents souvenirs mais en ma qualité d’ancien marathonien j’ai gardé le goût de l’effort et du dépassement de soi. Avec l’âge et l’assistance électrique ces critères se trouvent très atténués pourtant les difficultés du parcours, la découverte des ces petites routes coriaces et magnifiques m’ont permis de réussir jusqu’ici un challenge que je m’étais fixé. 900 kilomètres depuis Thonon, reste une grosse semaine d’aventures pour atteindre la Méditerranée et boucler ce Thonon - Nice avec succès…
Bref demain, retour du soleil, ce dont m’a assuré mon logeur qui s’y connaît en matière de soleil puisqu’il est natif de Valensole. Quittant les petites routes du soleil pour quelques étapes je m’en vais faire un tour dans le Luberon histoire de découvrir en profondeur cet arrière pays provençal cher à Giono.
À suivre…
Thonon - Grenoble
Six jours après mon départ, je me décide à rompre le silence ou la monotonie du blog en me fendant d’un résumé et pourquoi pas la gueule. Oui car tout n’est pas triste dans cette aventure solitaire…
Tout d’abord il y a ce type qui me susurre en permanence des consignes à l’oreille, c’est dingue sa connaissance du terrain ! Jusqu’au moindre petit chemin muletier. A ce propos, il essaye régulièrement de m’en faire prendre, les premiers jours j’ai pu me faire avoir car pour couper les lacets il indique des chemins rocailleux où même les mules ne mettent plus un sabot ou des pistes forestières bien raides que même une schlitte vosgienne y perdrait son chargement. Bref, ça m’a bien fait schlitter ces raccourcis, à présent je trace ma route sans écouter ses conseils. Mais le bonhomme est du genre têtu, à peine ai-je tourné alors qu’il demandait d’aller tout droit que Mossieu me lance des menaces « replanification en cours » quelques secondes plus tard des grossièretés comme « faites demi tour », cela peut durer parfois des kilomètres ! Du genre obtu je vous dis.
Donc me voici à Grenoble où plutôt juste au dessus dans le Vercors pour les ignares qui ne connaîtraient pas Saint Nizier du Moucherotte, pourtant mondialement célèbre depuis les jeux de Grenoble 68, c’est ici qu’a eu lieu le saut à ski sur le tremplin aujourd’hui en ruine….Oui vous me direz ça fait plus d’un demi siècle, donc je retire ignares.
Grand beau temps sur le parcours hormis un bel orage au col du Perret mais j’étais aux abris et une pissette en descendant le Mont Saleve. Aucun accident de parcours si ce n’est la perte de mes lunettes dans la Chartreuse - ce qui aurait pu être dramatique pour un myope, un astigmate, ou un hypermétrope - reste anecdotique puisque ce sont des lunettes de soleil et non de vue, un petit crochet par Décathlon Grenoble et me voici à nouveau équipé.
Aucune faute de goût au niveau des hébergements, j’ai dîné chaque soir au gîte sauf un resto à St Pierre lundi faute de ravitaillement dans mes sacoches. J’ai même dans mon incommensurable bonté fait la vaisselle de mes hôtes à deux reprises, en échange j’ai hérité d’une paire de chaussons de sauna et d’une casquette de marque indéterminée.
Alors que les français n’ont d’attention que pour l’école en ce début septembre, je suis très concerné par les cols, une quinzaine depuis Thonon sans compter les grimpettes qui préfèrent garder l’anonymat et un massif à découvrir si ce n’est déjà fait - la magnifique Chartreuse.
Départ chaque matin entre 9 et 10 heures, ben quoi ? c’est les vacances bon dieu, par contre je lambine, je trainasse, je musarde comme jamais. Arrêts café quand les bars sont ouverts, arrêts photos abondants, visites quotidiennes aux vival, carrefour market, Intermarché, proxi et autres lieux de culte, cueillette de champignons dans les forêts de Douglas, tant de délicieux moments que je savoure à perdre mon temps - il n’y a pas que les lunettes que je perds - je gamberge tout le temps, calculant, mesurant, vérifiant, supposant, imaginant, soliloquant, rigolant, chantonnant, rêvassant, poétisant, chaque idée qui me traverse l’esprit me rapproche tantôt de l’un, tantôt de l’autre, bref je pense à vous tous sans me languir d’aucun.
C’est cette liberté que je suis venu chercher dans ces montagnes et jusqu’à présent je me régale.